Malika Intimity...

Séance / Les vieux

Je n’ai pas de "devoir" à faire, cette fois.

J’ai évoquer en majeure partie la "tache" du premier tableau. Cet homme qui m’a tout pris avant même que je n’aie eu conscience de ce que j’avais. Je n’ai jamais connu le goût de l’innocence telle qu’on l’a défini pour évoquer l’âme des enfants. Jamais. Enfin, si… Durant les deux premières années de ma vie, ces annees dont on ne se souvient généralement pas du tout…

J’ai parlé de cette histoire, je l’ai décrite comme je l’avais déjà souvent fait par écrit. Mais j’ai aussi expliquer comment j’interprétais le ressenti des autres membres de ma famille. Ma mère. Mon père. Elle avait la haine, tellement la haine, tellement la rage, tellement de douleur, de colère, de souffrance, de culpabilité. Elle n’a pas su protéger ses enfants alors que tout se passait sous ses yeux… Je ne lui en veux pas, bien entendu. Mais je peux concevoir SA souffrance. Il a dû tomber de tellement haut… Son petit frère. Ce petit dernier à qui ils auraient tous donné le bon Dieu sans confession. Son petit frère. Ses filles. Ca doit être tellement… Destructeur, finalement, pour un père.

Et puis j’ai expliqué qu’on n’en parlait jamais. Que ce soit dans le tableau d’avant ou dans celui d’après. Ou trés peu. C’était tabou. C’était silence. je me développais, je grandissais, avec un poids que je ne comprenais pas sur mes épaules. Et le silence qui entourait ce poids ne m’aidait pas à comprendre.

Adolescente, j’ai essayé d’en parler. C’était vague. C’était loin. C’était floue. Mais c’était là. C’était là partout, tout le temps, comme un murmure omniprésent : "Tu es une victime… Tu dois avoir peur. Peur des hommes. Peur des autres. Peur !!"

Ma mère me répondait par ses craintes les plus horribles : elle s’était renseignée, elle avait lu des tas de choses sur le sujet, qu’elle disait. Il y avait deux issues pour les victimes : soit elles reproduisent les actes, soit elles deviennent des prostituées.
Voilà, c’était le discours de ma mère, j’avais 12 ans, peut-être 13…

Je vous raconte même pas la tête qu’a fait le psy, quand je lui ai dit ça !

J’ai eu peur. Terriblement peur de moi, pendant longtemps. A cause de ÇA ! A cause de ces mots qu’elle m’a dit, sans doute complètement inconsciente de l’impact que ça aurait sur moi, sans doute complètement inconsciente qu’il me manquait un échappatoire dans sa théorie, qu’elle me condamnait à la peur. J’aurai pu vouloir faire le tapin, juste pour être sûre d’échapper à l’autre option. Je devenais un sujet, une expérience, un rat de laboratoire. Quel monstre allais-je devenir à l’issue de tout ça ?

Quant à mon père, il évitait souvent d’en parler, il coupait court à mes tentatives. "Je n’avais rien eu." "Je devais oublier." ... En vrai, je crois que la limite de son armure fière, droite et sans faille était là, dans ce drame. Accepter d’en parler, c’aurait été se mettre à nu. Avouer la contradictions de ses sentiments - son frère / ses filles, neveux et nièces - et devoir l’assumer. Alors il fuyait le sujet comme la peste. À mes dépends. Inconsciemment, sans doute.

Ils ne voyaient sans doute pas que leur silence alimentait ma douleur. Parce que ma douleur était floue, déjà. Silencieuse, déjà. Elle était un écho lointain auquel tout le monde tournait le dos.

J’ai un jour imposer la conversation à mon père. J’avais écris. Dans un journal, j’avais raconté mon histoire - principalement le jour de l’aveu, en fait - sur base de mes souvenirs et des quelques informations qu’ils avaient acceptés de laisser filtrer au fil des années. J’avais utilisé des mots et des phrases crus/choques tels que : "Il a baissé son pantalon et a voulu faire entrer son sexe dans ma bouche." Bref, je vous passe les détails… Et donc j’avais remplis une vingtaine de pages de ce journal - un cahier d’écolier - d’une écriture ronde et appliquée. Je me souviens du sentiment, du soulagement qui m’a envahi aussitôt le point final posé. On ne m’avait jamais accordé d’en reparler. Alors j’ai écris. Et donc un jour, je devais avoir 17 ans, je me suis postée face à mon père et lui ai dit que je devais lui lire quelque chose. J’ai ouvert ce cahier et j’ai commencé mon récit. Il n’a pas fallu longtemps avant que les larmes s’échappent de mes yeux. Dire. Laisser ces mots-là sortir de ma bouche et atterrir dans SES oreilles. J’avais besoin qu’il entende. Pas pour remuer le couteau dans la plaie, pas pour au il s’apitoie sur mon sort. Non, juste pour qu’il sache, qu’il réalise. Qu’il realise que NON, on n’oublie pas. NON, on n’efface pas. NON ! Si je me souviens bien, il m’a écoutée en soupirant, parfois. Plus pour retenir ses larmes qu’autre chose. Mais on n’en a pas vraiment discuté derrière. Mais ce n’était pas grave. J’avais pu dire.

Ma mère, alcoolisée, le criait sur tous les toits, partout, qu’on soit avec elle ou pas. Si on n’y était pas, elle pleurait sur nos photos de classes qui s’usaient dans son porte-feuille : "Mes pauvres petites !" Elle apitoyait les autres sur elle en se servant de nous. Mes paroles peuvent sembler dures, je suis consciente aussi de sa souffrance, sa culpabilité, sa colère, sa rage, envers lui, envers elle-même, envers le monde, envers les Hommes. Mais elle oubliait notre intimité. Elle étalait ÇA partout pour tenter de s’en débarrasser, elle ne réalisait pas.

Bref, cette histoire me torture encore. Parfois, j’ai envie de lui écrire. A lui. A cet oncle. Pourquoi ? Mais ne serait-ce pas risquer d’accentuer plus encore ma peine ? Si sa réponse est ignoble ? S’il n’y a pas de réponse ? J’avais déjà ecris une lettre à 13 ans. Je ne l’ai jamais envoyée.

Le psy m’a dit : "On va y revenir" parce que j’avais un autre rendez-vous et j’ai donc du couper court à notre conversation.

Ce mec est vraiment génial, je le redis !

Il m’a dit : "On vous a laissé patauger dans vos faiblesses en ne vous montrant jamais vos richesses et pourtant, vous avez su tirer le meilleur de tous ces gens autour de vous."

Il m’a dit d’autres choses encore, mais je suis fatiguée. C’est bénéfique, je soulève des questionnements jusqu’alors jamais envisagés, mais c’est tellement épuisant.

Je vais lancer la procédure de rupture de mon contrat. Me libérer… (Délivréeeeeeeeeeeeeeee… OUI, j’ai une petite fille de presque 3 ans - => et ouais ! Déjà ! - à la maison...)

J’ai évoquer "les vieux" dans mon titre parce que j’ai reçu une réalité douloureuse en pleine tronche, aujourd’hui. En sortant de chez le psy, un vieillard s’est avancé vers moi et m’a demandé si je n’avais pas deux euros pour qu’il s’achète à manger. Je n’avais pas. J’étais pressée. Je me suis excusée. Quelques mètres plus loin, une vieillarde qui devait avoir grosso modo le même âge que lui me souffle à l’oreille : "C’est quand même grave, ya plus de limites ! À son âge ! M’enfiin !"

J’étais pressée, mais outrée ! Alors je me suis arrêtée et j’ai répondu : "Pourquoi grave, Madame ? Un jeune de mon âge, je pourrais encore trouver ça facile… On a de l’audace, on s’en fout quand on a 20 ou 30 ans, mais « à son âge», quand il ne reste plus que des miettes de pensions et une dignité piétinée, ce n’est plus « grave», Madame, c’est triste, horriblement triste. C’est le dernier recourt." Et à la vieille mégère Moijesaistoutmieuxquetoutlemondeparcequejesuisunemomiedusiècledernier de rajouter : "Oui, ben, moi aussi, je suis à la pension. Je préfère ne manger que du pain qu’en arriver là !" (Connasse, que j’ai pensé !)

Voilà, c’était une anecdote, mais cette réalité fait tellement mal…

Bien à Vous.

Malika