Maman
J’ai relu ça aussi. Je continue à le lire, parfois. J’écrivais quand elle débordait et que ça me faisait aussi déborder. J’écrivais son alcool. J’écrivais sa dérive. J’ai écrit un jour que "rien ne s’arrêtera jamais".
J’avais tort. Enfin, un peu tort. C’est rare d’être contente d’avoir tort. Pourtant là, je suis contente.
Elle a repris - en partie - le contrôle sur sa vie il y a 3 ans. Elle a cru que son mec allait mourir, elle a cru qu’elle le perdait, qu’il l’oubliait, que l’alcool avait gagné, alors je crois qu’elle a eu vraiment peur. Ça a été l’électrochoc auquel je ne croyais plus…
Mais avant ça, il y a déjà eu des étapes. Des "premiers pas". J’ai fini par lui confier ma fille les mercredis après-midi, mais j’avais été très claire et intransigeante : pas d’alcool devant elle ! Elle pouvait avoir bu la veille, elle pouvait boire après, mais je refusais qu’elle boive pendant… Elle a respecté pendant plusieurs mois, peut-être même plus d’un an, ou deux ans… Mais sur la fin, j’ai constaté des écarts. Je les vois tout de suite, ses écarts. Je la connais par cœur. Je connais son alcool par cœur. Alors je lui ai dit, je lui ai rappelé : "Maman, pas s’il y a la petite, ne m’oblige pas à ne plus te la confier…" Je me souviens que d’abord elle s’est braquée, sur la défensive, elle a suggéré que "je n’allais plus avoir besoin d’elle", qu’alors, "je trouvais une excuse"... Je lui ai répondu que s’il s’agissait de cela, je n’aurais juste rien dit, mais qu’elle devait réfléchir à SON attitude. Je l’ai serrée dans mes bras, elle a pleuré, je lui ai dit que je voulais lui faire confiance, mais que j’avais besoin d’elle pour ça. Elle a fait cet effort. Elle a recommencé à ne plus boire quand elle avait la petite. C’était déjà ça de gagné.
Après, mon grand-père - son père - est décédé à plus de 1000km de chez nous. Sans moi, elle n’y serait pas allée. Elle refuse de prendre l’avion. Elle a peur. Alors je me suis débrouillée pour prendre congé et on a pris la route toutes les deux. Elle a bu avant que je vienne la chercher, pas grand-chose, juste assez pour que les symptômes du manque ne se manifestent pas. Elle n’a pas bu sur la route. C’était une manière de me respecter. Bien sûr, ça m’a touchée.
Sur place, par contre, elle n’a pas arrêté. Elle ne se laissait pas le temps de désaouler. Elle m’a fait honte, vraiment honte, sans doute plus que jamais, ces quelques jours-là. Honte, mais peur aussi. Je l’ai trouvée folle. Elle se parlait à elle-même, son prénom et son surnom se disputaient. Schizophrène, j’ai pensé. Honte, peur, mal. Pour rentrer, on est reparties assez tôt. Elle n’a pas su boire. Début d’après-midi, je me suis arrêtée sur une aire d’autoroute et je suis allée lui chercher une bouteille de vin moi-même. Ses symptômes de manque m’horrifiaient plus que son ébriété. Je l’ai déposée chez elle et je suis rentrée chez moi, choquée de ces constats. Choquée, blasée, blessée. Mais je me suis reconcentrée sur ma famille, celle que j’ai construite.
Et puis quelques mois après, elle a dit le mot. Ça a été son premier appel à l’aide. La vérité. Elle a dit : "Je suis alcoolique…" Je me souviens que quand elle a dit ça, j’ai tout de suite compris que quelque chose pourrait se passer. J’ai compris que, peut-être, finalement, ça allait pouvoir s’arrêter. J’ai compris qu’en fait, j’avais peut-être eu tort de ne plus vouloir y croire.
Mais je ne l’ai pas brusquée. J’ai gardé de la distance. Je l’ai laissée gérer, je lui ai juste dit : "Tu sais, il parait que c’est une maladie… et moi je peux t’aider, mais c’est toi qui dois le vouloir…"
C’était un grand pas en avant, pourtant, ça a continué. Nonchalamment. J’ai même pensé qu’elle avait trouvé un apaisement à le dire : ça la justifiait, maintenant elle pouvait se mettre la tête à l’envers sans baisser les yeux. Elle avait mis un mot sur le problème, alors ce n’était plus un problème. J’ai eu peur que la réalité en reste là.
Et puis, donc, son mec a été hospitalisé pour une "banale" faiblesse musculaire, mais ils ont omis de parler de l’alcool. Alors il a rapidement fait un délirium tremens sévère, très sévère. Il a perdu pied. Il a oublié qui il était, qui elle était. Il a perdu 25 ans de mémoire… Ça peut paraitre complètement invraisemblable, mais c’est pourtant bien ce qu’il s’est passé. 25 ans, alors elle n’existait plus. Il a été transféré dans un hôpital psychiatrique, long séjour : son sort était fixé. Il n’était définitivement plus. C’était terminé.
Forcément, ça l’a anéantie. Sa consommation d’alcool a explosé. Elle s’endormait au bord du coma éthylique, se réveillait encore complètement ivre, mais se remettait à boire jusqu’à la limite du prochain coma. Elle m’appelait en larmes. Je ne savais plus quoi lui dire. Et puis elle m’a demandé ce que j’attendais qu’elle me demande depuis tellement d’années. De l’aide concrète : entamer une cure de désintoxication pour être prête à s’occuper de lui lorsqu’il pourrait rentrer à la maison.
C’était tellement, TELLEMENT inespéré. Alors j’ai dit oui, j’ai entamé les démarches, le médecin que j’ai eu en ligne m’a dit qu’il fallait qu’elle fasse divers contrôles médicaux avant de pouvoir concrètement entrer en cure. Je lui en ai parlé. "OK", elle a dit. Je n’en revenais pas. On a pris les rendez-vous, je sentais le vent tourner, quelque chose de fort, quelque chose que je n’envisageais plus était en train de se passer.
Pendant ce temps-là, lui, son mec, a fait une crise d’asthme très sévère dans son hôpital psychiatrique. Les infirmiers ont appelé les urgences pour qu’il retourne à l’hôpital, mais ils l’imaginaient mort. Ils ne pensaient pas qu’il s’en sortirait. Dans l’ambulance et à l’hôpital, il a été mis sous oxygène. Ça l’a sauvé. Ça l’a même doublement sauvé. Il n’est pas mort. Et il est revenu. L’oxygène a rallumé un truc dans son cerveau. Dans le corps médical, personne n’a pu nous donner d’explication, mais il a appelé Maman, il lui a dit : "Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais je suis là, je me souviens de tout, je suis désolé de t’avoir fait si peur…"
Elle était tellement heureuse, tellement soulagée, tellement apaisée. Elle a bu pour fêter ça. Elle m’a appelée pour m’annoncer la bonne nouvelle et elle m’a dit : "Laisse tomber, annule tout…" J’ai PÉTÉ UN PLOMB ! Je lui ai dit que c’était la dernière fois, qu’elle n’avait pas le droit de me faire ça… Je pleurais, c’était le coup de grâce ! Alors elle a ajouté : "Non, ma chérie, je vais le faire, je te promets que je vais le faire ! Mais je vais le faire seule…" Je n’y croyais pas. J’ai pensé que ce n’était qu’un énième retour à la case départ…
Et POURTANT, elle l’a fait !! ! Son médecin traitant - un vieux médecin qui connaissait tous les antécédents - l’a accompagnée, il lui a donné des conseils, lui a parlé des vitamines qui l’aideraient, a supervisé les examens médicaux qui permettraient de voir "l’étendue des dégâts" de 20 ans d’alcoolisme. Et pendant des mois, elle n’a plus touché une goutte d’alcool. Ça fait 3 ans.
Aujourd’hui, je sais qu’elle reboit un peu. Je sais que ça reste fragile, mais je n’oublierai pas qu’elle a déjà gagné une partie du combat… Et je suis fière d’elle…
Bien à Vous.
Malika