Malika Intimity...

Tôt ou tard... Jamais trop tard...

(Écrit commencé le 11 septembre à 3h00 du matin..)

Il est tard. Je suis fatiguée. Ou il est tôt. Tout est relatif…

Cette journée a été chargée de tout un tas d’émotions, parfois lourdes, parfois inattendues, parfois gênées…

Je vous ai parlé, ces derniers mois, d’une rencontre "familiale" extraordinaire. Cette petite petite cousine, mon aînée de douze années. Cette rencontre hors du temps, hors de la logique, hors de la pudeur, hors des faux semblants, hors des préjugés, hors de tout, sauf de l’amour, de la vérité et de l’évidence… Je vais lui donner un "pseudo", pour vous parler d’elle. Elle sera "AJ", et même ça, ça a une signification riche et importante…

Et donc, AJ est fille unique d’un père fils unique. Son grand-père et son père sont décédés il y a dix ans. Son grand-père était le frère de mon grand-père paternel que je n’ai pas connu. Je ne me souviens pas de son grand-père, ou très peu, très vaguement, d’un souvenir terni par le temps, érodé par les années d’ignorance. Son père - cousin de mon père, donc - était un homme qui a "brûlé la vie par les deux bouts", comme on dit. Un soixante-huitards, un peu. L’alcool, la drogue, les bars, les bagarres, les scandales, l’alcool, les humiliation, l’alcool, l’alcool, l’alcool… Je me souvenais plus de lui que de son grand-père pour la simple et bonne raison que ses addictions m’ont menée à le côtoyer lorsque mes propres parents tenaient le café. Ses vices ont eu raison de lui il y a dix ans, donc, et son père est décédé la même année, certainement abattu par la disparition de son fils unique.

Il y a dix ans, alors que je ne connaissais pas, ou que très peu, l’existence d’AJ, elle s’est retrouvée seule avec sa grand-mère, une femme forte et formidable, c’est en tout cas ce que j’ai entendu dire d’elle. Forte, formidable, souriante, brave, courageuse, optimiste, battante. Elle a largement contribué à l’éducation d’AJ, tenant plus le rôle de la maman que le rôle de la grand-mère. Au cours de ces dix dernières années, son état de santé s’est détérioré. Entre la maladie d’Alzheimer et les coups du temps qui passe, elle a rapidement et de plus en plus fréquemment, sombré dans des états d’inconscience et d’ignorance totale face au monde.

Il y a deux semaines, AJ apprenait de la part du médecin traitant de la maison de retraite que sa grand-mère se fragilisait beaucoup et qu’elle allait certainement devoir être transférée dans un service palliatif. C’est là qu’à commencer mon bouleversement. Malgré moi, venant d’une force, d’une impulsion, d’une intuition, d’une inspiration qui me dépassaient complètement, j’ai ressenti le besoin, mieux, la nécessité d’écrire pour AJ. Un texte à rime, aux syllabes calculées, mais qui est né d’une manière assez inattendue, parce que les mots, les idées, les phrases porteuses et charnières se sont imposés à moi, à ma tête.

(M’étant endormie, épuisée, sur mon récit, je le reprend donc courant d’après midi, toujours le 11 septembre)

Le week-end passé, AJ a compris, par le biais d une drôle d’intuition, quelles étaient les dernières volontés de sa grand-mère, ce qu’elle attendait pour atteindre la sérénité. Elle s’est donc rendue dans un lieu de pèlerinage de la ville et a demandé à un prêtre de l’accompagner au chevet de sa grand-mère. Il a accepté. Dans la chambre de cette vieille femme déconnectée de la réalité à cause de sa maladie, il s’est mis à prier, conviant AJ à l’accompagner, il a "lavé" la grand-mère de ses péchés par la prière chrétienne. D’habitude si absente, elle a étrangement fait preuve d’une grande conscience durant cette "cérémonie" improvisée au pied de son lit et cela a beaucoup bouleversé AJ. Après avoir ramené le prêtre, elle est retournée auprès de sa grand-mère, inquiétée par la réaction que cette initiative avait provoquée. La grand-mère mangeait, aidée par une aide soignante, de nouveau absente d’esprit, quand soudainement, elle a attrapé la main d’AJ et lui a simplement dit : "Je suis contente !"

C’était samedi, donc. AJ m’a confiée ce récit dimanche. A nouveau, les mots se sont imposés. Plus fort que moi. Rarement, pour ne pas dire jamais, un texte, un thème si "personnel" ne s’était imposé à moi de cette drôle de façon. J’ai d’abord essayé de ne rien écrire, mais ma tête "m’ordonnait" de poser les mots, de leur donner vie. Alors je l’ai fait. Le texte retraçait cette merveilleuse compréhension dont AJ avait fait preuve vis-à-vis de sa grand-mère. La beauté du geste, l’importance qu’il a eu, aussi simple puisse-t-il paraître. Je lui ai envoyé ce deuxième texte avec le même sentiment étrange "d’en faire trop". Je lui ai expliqué qu’il s’était "imposé", comme le premier. Elle m’a chaleureusement remerciée alors que moi, je me sentais un peu "gênée", un peu "intrusive" en posant des mots sur ses gestes, ses émotions.

Lundi, à 13h, j’ai reçu un triste SMS de AJ m’annonçant le décès de sa grand-mère. Boum, bouleversement "ultime". Je lui ai répondu que je n’avais pas de mots, juste une certitude : son dernier choix pour elle était sûrement le plus beau, le plus merveilleux qu’elle pouvait faire. Que j’étais là, que je pensait à elle, qu’elle pouvait compter sur moi. Le lendemain, je me suis pointée à l’heure de début des visites funéraires. Je l’ai serrée dans mes bras et lui ai proposé d’emmener ses enfants le temps des visites, de les emmener promener dans le village. Je crois que c’était la meilleure chose que je pouvais faire pour l’aider, dans l’instant.

Ce mardi soir, un nouveau texte s’est imposé, encore. J’ai écrit quelques phrases et puis le sentiment "d’en faire trop" a pris le dessus. J’ai décidé d’effacer ces phrases, de ne pas écrire ce texte. C’était sur mon iPad, avec l’application "Note" que j’utilise fréquemment pour poser mes mots. J’ai donc effacé le texte et fermer l’application.

Mercredi matin, j’ai relancé l’application pour écrire autre chose. Le texte effacé était de nouveau là. Je peux apparaître folle, parce que j’utilise suffisamment cette application pour pouvoir affirmer que je n’avais jamais vu ça. J’ai d’abord pensé que j’avais dû faire une mauvaise manœuvre, j’ai donc réitéré mon geste et fermer le "fichier" du texte pour "confirmer" mon choix de suppression à l’appareil. J’ai refermé l’application sans rien écrire, troublée par ce drôle de "coup du sort". Au soir, j’ai à nouveau lancé l’application. Pas pour tester quoi que ce soit, peut être même pour écrire un nouveau texte pour elle, poussée par cette force qui s’imposait toujours. Et, surprise, le texte effacé deux fois était encore là. Ca peut paraître fou, vraiment, ou anodin, je ne sais pas trop… Mais j’y ai vu un signe de je ne sais quoi et j’ai décidé de le terminer.

Jeudi matin, j’ai contacté AJ, on devait se voir deux heures après pour l’enterrement. Je lui ai confié que j’avais encore écrit, qu’encore une fois, ce texte s’était imposé à moi, plus encore que les deux précédents et je lui ai demandé si elle le voulait et si elle le voulait tout de suite ou plus tard. Elle m’a répondu : "je le veux bien", alors j’ai copié collé. Elle m’a demandé tout de suite de le lire, à l’église, pour elle. J’étais troublée, mais j’ai accepté.

Je suis arrivée devant l’église alors que seule une amie d’AJ attendait déjà sur le parvis. Rapidement, des "petits cousins" que je ne fréquente pas, plus ou ne reconnais même pas sont arrivés. Ceux qui se souvenaient de moi s’adressaient aux autres : "T’as vu, m’fi ! Tu la reconnais ? C’est la p’tite de X. !" - "Ah ouais, dis ! Maintenant que tu le dis, je vois bien ! Qu’elle est belle, dis donc, cette jeune fille !" (S’adressant à moi..) "Et comment tu vas fille ? Et ton père, comment qu’y va ?" Et je répondais "Bien.. Bien.." Parce que pour dire vrai, je me fichais pas mal de ces gens.

Le corbillard est arrivé, suivi de AJ, son mari et ses deux enfants. Descendue de voiture, elle a salué d’une bise toutes (on était très peu, à peine une quinzaine) les personnes présentes, arrivée à mon niveau, elle a posé sa tête contre mon épaule et s’est laissée aller dans mes bras. Juste quelques secondes, mais comparativement à son accueil pour les autres, je ne m’y attendais pas et j’ai été saisie par l’émotion, je l’ai accueillie dans mes bras, en silence. Elle s’est ensuite dirigée vers l’entrée de l’église pour suivre le cercueil avec sa grand-tante, dernière soeur vivante de sa grand-mère, son mari et ses enfants. Elle s’est retournée, ma lancé un regard et m’a dit : "Viens !" Étonnée et pas tout à fait sûre qu’elle s’adressait bien à moi, j’ai plissé les yeux en retournant mon index contre ma poitrine, pour demander confirmation qu’elle s’adressait bien à moi. "Oui.." a-t-elle soufflé, revenant sur ses pas pour m’attraper par la main et m’emmener avec elle, auprès d’elle.

On a parcouru l’allée centrale de l’église en silence. J’étais tremblante, bouleversée par la reconnaissance, l’amour qu’elle me portait en m’incluant au coeur de sa famille. Arrivés au pied de l’autel, j’étais perdue, ne sachant pas trop ou m’asseoir, elle a repris ma main, comme pour me rassurer, comme pour me confirmer son intention et m’a demandé de m’asseoir là, devant, auprès d’elle, de ses fils, de son mari. J’ai souri, juste souri et elle aussi.

La messe a commencé, rapidement, le prêtre l’a conviée à prendre la parole. Elle a lu, les larmes dans la voix, un texte en l’honneur de cette femme qui représentait tant pour elle. Elle confiait se sentir sereine, savoir qu’elle ne quitterait jamais son coeur, qu’elle la portait partout en elle et en ses enfants. A la fin de son texte, elle s’est penchée vers le prêtre et s’est mise à murmurer. Elle modifiait soudainement le déroulement prévu de la cérémonie. Il a acquiescé, elle s’est dirigée vers sa chaise en me souriant.

Le prêtre a dit : "Nous allons entendre la cousine d’AJ..." C’était à moi, je devais me lever et dire devant tous ces gens mes mots pour elle. J’étais bouleversée, tétanisée, submergée par toutes ces émotions diverses. L’amour, la confiance, la reconnaissance et puis la tristesse, le poids, la peur, le stress… J’ai allumé mon iPad sur ce dernier texte, l’ai posé sur le pupitre devant moi, l’ai regardée, elle, droit dans les yeux et lui ai dit : "C’est pour toi, AJ" et j’ai lu. Au fil de ma lecture, lorsque je relevais les yeux vers elle, je la voyais littéralement fondre sur sa chaise, je tentais de ne pas m’effondrer également par le poids de ses émotions. J’ai fini ma lecture, l’ai regardée une dernière fois avec tendresse et suis retournée m’asseoir. J’aurai pu me diriger vers elle, la prendre dans mes bras.. Mais tous les yeux, si peu soient-ils, étaient rivés sur elle, sur nous, et je n’ai juste pas su, pas voulu "en faire trop".

La messe s’est déroulée, le prêtre a tenu un merveilleux discours, ils sont rares, ces discours religieux qui gardent mon attention. J’ai regardé ce cercueil et ai pensé, comme si je m’adressais à cette vieille femme : "Je te fais une promesse, celle d’être toujours là pour AJ. Pars en paix, ok ? Je prends la relève !" Au moment de l’offrande, j’ai posé ma main sur ce cercueil en pensant encore et encore à cette seule promesse, comme une ritournelle.

Après la messe, on est allés au cimetière et puis, avec la maman et la soeur du mari de AJ, l’amie qui était déjà sur le parvis de l’église quand j’y suis arrivée et la soeur de la défunte, nous sommes retournés chez AJ pour manger un morceau de tarte. Elle m’a remerciée, encore et encore. Disait à qui veut : "C’est ma cousine, elle est formidable, elle a été là à chaque instant !" J’étais flattée, mais aussi gênée. Gênée parce que ma présence était juste normale, juste importante et que je n’attendais pas de louange en retour. Flattée, touchée, bouleversée…

Voilà, journée riche en tellement d’émotions… J’avais besoin de vous l’écrire, paradoxalement à mon absence de ces derniers temps. J’avais besoin de figer ce souvenir dans les mots.

Bien à Vous.

Malika