Malika Intimity...

J'ai mal dedans

Je suis passée a l’improviste, ou presque. Je l’avais eue au téléphone au matin et lui avais dit que j’allais essayer de passer. Une fois devant chez elle, je l’ai appelée. J’ai compris tout de suite, elle ne pourrait pas me tromper. Sa voix est floue, comme endormie, mais je sais aussi faire la différence entre sa voix endormie et cette voix-là. Celle-là, elle est floue, rocailleuse, brouillonne. Elle doit résonner en écho dans sa tête avant de sortir par sa bouche pour obtenir cette tonalité si particulière… "C’est moi, maman. Tu es chez toi ? Je te réveille ?" "Oui, je suis là… Tu ne me réveilles pas tout à fait, non.. Pourquoi ?" "Je suis devant… Je t’avais dit que je passerais..." Et là, j’entends un bruit sourd et lourd et puis au loin : "Eh merdeuh !" Ensuite, un bruit de fond de poche… Le téléphone était tombé de sa main, elle a essayé de le ramasser… Après, juste l’écho de ses pas qui s’éloignent du téléphone, puis la porte qui s’ouvre devant moi. Ça faisait longtemps. Longtemps que je n’avais plus assisté à une scène de ma mère perdue au fond d’elle-même. J’étais avec ma fille. J’étais partagée entre la gêne, la honte et le désarroi. J’ai ressenti vivement l’incompréhension de ma fille face à cette Mamy telle qu’elle ne l’avait jamais vue. Une Mamy version brouillonne, usée, dépassée.
Ma fille s’est vite lovée contre mon épaule, impressionnée par cette scène étrange. "Fais un bisou à Mamy." que je lui dis. Elle fait non de la tête et resserre plus fort encore son étreinte autour de mon cou. Moi, je subis. Je subis la réalité que je craignais depuis longtemps. Oui, ma fille, tu vas devoir comprendre ça. Oui, ma fille, tu vas devoir le subir avec moi.
Elle finit par céder et accepte de faire une bise à l’étrange Mamy qui se trouve devant elle. Ma mère me parle, je ne comprends pas tout. C’est le boulot, qu’elle me dit. Je lui redis les choses que j’ai déjà trop dites :
Arrête de surestimer tes forces psychologiques.
Accepte de ne plus pouvoir subir.
Agis.
Prends soin de toi.
Je t’aime.
Tu sais ce que j’en pense.
Je n’ai aucune prise sur tout ça.
J’ai longtemps essayé d’en avoir.
Tout se passe là-dedans (en pointant son crâne avec mon index).

Je ne vais pas rester Maman. Je dois faire des courses. Je passais en vitesse. Je t’aime. Prends soin de toi.

Je l’ai serrée dans mes bras. J’ai serré ma mère dans mes bras, d’une étreinte de mère. Comme si elle était ma fille. Comme j’ai tellement eu envie, tellement souvent, qu’elle me sert dans ses putains de bras. Je l’ai embrassée sur le crâne. Je lui ai dit qu’elle devait agir, encore. J’ai essuyé les larmes de honte et d’impuissance qui perlaient au bord de ses yeux. J’ai retenu les miennes.

Je suis remontée en voiture, j’ai redis que je l’aimais. Je ne savais pas quoi dire d’autre. Le sol devenait mouvant, sous mes pieds. J’ai allumé le moteur, je suis partie.

Je devais aller faire des courses dans un grand magasin au village d’à côté. Mais d’abord, je suis allée à la supérette de son village pour acheter des clopes (oui, j’ai replongé. C’est trop con, mais c’est comme ça...). Je rentre dans le magasin, tenant ma fille par la main, tendue par ces émotions qui me dépassent complètement. Je me dirige tout de suite vers la caisse. Je laisse mon regard se perdre dans le vide. Je vois un visage. Je vois ce putain de visage. Je suis sûre, à 400% que c’est CE PUTAIN DE VISAGE. CE PUTAIN DE CONNARD. Je ne le lâche pas des yeux. Je prends ma fille dans mes bras. "Pourquoi tu me sers, Maman ?" Je ne la regarde mêmes. Je ne peux pas. Je ne le lâche pas. "Pour rien ma chérie. Reste près de Maman." Il lève les yeux. Je le fixe. Je ne BAISSERAI pas les yeux ! Il baisse la tête, semble troublé, sort de mon champs de vision. C’est mon tour à la caisse. Je paie, merci au revoir.
Je sors, je reste devant, je regarde au travers de la décoration autocollante qui recouvre la baie vitrée. Il réapparaît. Il s’est planqué ! Il m’a vue, m’a reconnue - ou a compris dans l’insistance de mon regard que j’étais l’une de ses victimes - et il s’est planqué !

Putain de mère ! Putain de connard ! Putain de journée !

J’ai mal dedans…

Bien à Vous.

Malika