Malika Intimity...

Parenthèse... Elle...

J’avais envie de vous parler d’une femme qui a traversé ma vie il y a de cela 7 ans. J’étais une adolescente de plus à qui elle donnait cours de français, de sciences humaines et de techniques de communication. Elle était ma prof, j’étais son élève. Ni plus, ni moins.

À cette époque, j’admirais déjà la personne qu’elle était. J’admirais énormément sa présence, son courage et sa motivation. Elle avait un don pour nous emmener avec elle dans ses cours. On la respectait et elle nous respectait. Parfois, elle devait s’énerver un peu pour nous ramener vers elle, mais ça ne durait jamais longtemps et elle redescendait dans les tours presque automatiquement.

Elle nous a fait rêver. Je me souviens particulièrement d’un exercice de communication que j’ai fait deux années de suite (ayant redoublé ma 3e année de secondaire...). Cet exercice s’intitulait "Mon année sabbatique". On devait rédiger un texte dans lequel on devait décrire une année complète de notre vie, sans limites financières, où on faisait ce qu’on voulait. Libre à nous d’imaginer, de rêver, de se projeter.

J’ai recommencé l’exercice au moins vingt fois à chaque fois, je voulais être sûre de ne pas passer à côté de mes rêves.

Je me souviens aussi d’un séjour scolaire en sa compagnie. Nous étions partis passer deux jours dans une ferme pédagogique du côté de Bouillons. Généralement, c’est en primaire qu’on visite ce genre d’endroit mais l’une des élèves d’une autre classe était la fille des gérants de cette ferme, c’est par elle que le projet a été mis sur pied. Ce fût un séjour découverte. Un séjour détente aussi.

Elle était avec nous pour nous superviser. Elle était entière. Intéressée, désireuse d’apprendre des choses. Désireuse de nous faire part de ses découvertes, de ses apprentissages. J’avais rarement vu des personnes aussi entières, aussi ouvertes, aussi intègres qu’elle l’était.

Elle était belle mais semblait fragile. On voyait aux creux de son visage que quelque chose lui manquait, quelque chose lui faisait mal. C’est pendant ce séjour que je me suis rendue compte de sa souffrance. Dans une conversation, un élève lui a demandé si elle n’avait pas envie d’enfants. Comment peut-on poser ce genre de questions à une femme de 35 ans quand on n’en a même pas 15 et qu’on ne connait rien d’autre de cette femme que sa personne professionnelle ? Je ne sais pas, mais ça n’a pas arrêté cet élève.

Je la regardais, je ne sais pas pourquoi, au moment où cette question lui a éclatée aux oreilles. C’est exactement ça. J’ai eu l’impression que l’écho de la voix et des mots de l’élève lui éclatait aux oreilles. J’ai vu son visage se fermer, toute son âme se briser sur le sol et ses yeux se baisser. Aussi métaphorique que soit ma représentation de cet instant, c’est comme ça que je l’ai vu, que je l’ai ressenti ce jour-là.

Elle a répondu qu’il ne suffisait pas toujours de le vouloir. J’ai eu mal pour elle, tellement mal. Elle aurait fait une maman tellement idéale, tellement magnifique ! La vie est injuste !

Je ne lui en ai jamais parlé, je ne pouvais pas. Ensuite, les années ont passées, je pensais encore souvent à elle, au manque qu’elle devait ressentir en permanence en elle.

Et puis un beau jour de 2009, ça faisait plus de deux ans que j’étais sortie de l’école, j’ai trouvé cette ancienne prof sur Facebook. Je l’ai rajoutée. Comme ça. Soit elle acceptait, soit elle refusait. Mais j’avais envie de la connaître autrement. Je pense que cette personne mérite qu’on veuille la connaître autrement. Les personnes comme elle se font tellement rares.

Elle m’a acceptée. Dans un premier temps, je ne me suis pas manifestée. Près de 6 années nous éloignaient. Je n’avais jamais été qu’une élève parmi tant d’autre. Elle avait été une prof au-dessus de tous les autres.

Et puis petit à petit, j’ai pu comprendre que sa vie n’allait pas beaucoup mieux. Elle allait mal, très mal, sans doute trop mal je ne peux pas vraiment en dire plus ici, je ne veux pas me servir de sa vie pour nourrir mon journal. Je voulais faire quelque chose pour elle, mais comment faire quelque chose pour quelqu’un qu’on a toujours appelé "Madame" et qu’on vouvoie depuis toujours ? J’ai fait de mon mieux. Je lui ai écris ma compassion. Je lui ai écris que je pensais beaucoup à elle. Je lui ai écris que même si la vie fragilisait, elle ne nous enlevait pas notre force et notre rage de vaincre. Je lui écris que si je pouvais faire quoi que ce soit d’autre pour elle, je le ferais.

Finalement, par l’écrit, on s’est un peu rapprochée. Elle me remerciait de mon soutient, et je n’arrêtais pas de la soutenir. Il ne faut jamais lâcher la main de quelqu’un qui souffre, surtout si l’on est persuadée que cette personne est la bonté, le respect, le raisonnable et l’humanité incarnée. Alors je lui ai dit, et je continue aujourd’hui à la soutenir. Je ne la lâcherai pas.

Si elle me demandait pour me voir, j’aurai sans doute du mal, dans un premier temps, à passer au-dessus de notre relation de prof à élève. Mais je passerai au-dessus parce qu’elle le mérite ! Elle mérite de passer elle-même au-dessus de ses souffrances même si elles sont conséquentes, même si elle ne peut pas oublier, elle mérite de vivre et d’aimer vivre. Elle mérite de pouvoir apprendre encore. Elle mérite de tenir le coup !

Il n’y a pas très longtemps, à peu près un mois, je dirai, je l’ai croisée en ville. Sa douleur se lisait dans les traits de son visage. J’ai eu l’impression qu’elle avait passé sa vie à enfuir ses souffrances et qu’à l’instant où la goutte de trop était tombée, toutes ses douleurs avaient refait surface. Elle m’a serrée dans ses bras, elle avait l’air tellement fragile, tellement à bout. Ça m’a réchauffé le cœur de constater que mon soutient la touchait. Je ne la lâcherai pas ! Je ne veux pas qu’elle lâche !

Ça me révolte de voir le malheur dans sa vie. Ça me révolte de la voir plier sous le poids de la souffrance. Il y a tellement de monde sur cette maudite planète qui est heureux, qui vit très bien. Tellement de monde qui a une belle maison, une belle voiture, un beau métier, de beaux enfants, un beau chien, une putain de belle vie ! Tellement de monde qui ne le mérite absolument pas autant qu’elle le mériterait ! C’est tellement révoltant !

Je voudrais pouvoir faire plus…

Bien à vous.

Malika